Une plateforme de commandes et de livraison de tout type de produits et services tire avantage, sans l’avoir prévu, de l’épidémie de Covid-19. Déjà active au Sénégal, la start-up veut conquérir d’autres pays africains.Malika Moumouni-Diène (39 ans) est une femme au foyer pas comme les autres. Quand vous la trouvez chez elle à Ngor, commune de Dakar, la Nigérienne est à cheval entre sa fonction d’épouse et celle de chargée des opérations de Samalife : jeune et ambitieuse plateforme sénégalaise de commandes et de livraison de produits et services de la vie quotidienne qui vise déjà à s’implanter dans plusieurs pays d’Afrique.
Le vaste appartement de la famille
Diène sert en même temps de bureaux pour la start-up que cette diplômée en Marketing, « avec une dizaine d’années d’activités en gestion », a co-fondée avec deux autres partenaires, dont son mari sénégalais, Tomoss Diène (42 ans), haut cadre de la multinationale PCCI, un des plus grands groupes de centres d’appels implantés sur le continent.
En cette journée chaude et moite de juin où le jeune couple d’entrepreneurs reçoit APA, cette mère de deux petits enfants (2 et 3 ans) manifeste une impressionnante capacité à allier son rôle de maman et de femme d’affaires.
« C’est très prenant en termes de temps et d’énergie parce qu’il faut savoir combiner plusieurs services », glisse t-elle, tout juste avant de faire un tour rapide dans la chambre des enfants pour leur demander de faire moins de bruits.
« Mais quand on croit en ce qu’on fait, on oublie certaines difficultés auxquelles on est confronté. Samalife est en quelque sorte notre troisième bébé. Une maman ne pense pas aux problèmes dès qu’il y a un petit sourire de son enfant », insiste t-elle, cette fois, assise calmement à côté de son époux, derrière lequel un collaborateur s’affaire, imperturbable, devant son écran d’ordinateur.
Le couple a travaillé ensemble par le passé au sein de la filiale sénégalaise de PCCI. L’idée de Samalife est née « au détour d’une expatriation » à Dubaï où Malika avait suivi Tomoss dans une mission de plusieurs mois. Dans la ville émiratie, l’accès aux moyens de déplacement était « difficile surtout quand on doit le faire avec des bagages et un bébé », se souvient-elle.
Trait d’union
Le couple s’inspire de cette expérience pour concrétiser, cinq ans plus tard, le projet Samalife qui emploie aujourd’hui une dizaine de personnes, principalement des livreurs.
Leur particularité est qu’ils sont « les premiers à avoir lancé une plateforme de commandes et de livraison » de « tout type » de produits et services grâce à un système « totalement géolocalisé ».
Mise en service en novembre 2019, huit mois après sa création, la start-up a « réconcilié » trois acteurs : commerçants, clients et livreurs, explique Tomoss, qui s’occupe aussi du développement de la marque.
Dans leur étude de marché, Malika et son mari ont découvert que « 35% des téléphones au Sénégal sont des smartphones ». Ensuite, ils ont constaté que de nombreux besoins de la population ont trait aux produits alimentaires (repas, eau, fruits, légumes…), pharmaceutiques, de quincaillerie ou de librairie.
C’est ainsi que Samalife « gère de bout en bout » le processus de livraison, ses promoteurs ayant compris que « nous sommes dans un monde de l’immédiateté », insiste Tomoss, persuadé que « l’avenir est dans la livraison ».
À le croire, les gens « aiment plus passer leur temps sur des activités qui créent de la valeur pour eux. Notre objectif est de simplifier le quotidien des Sénégalais. C’est pourquoi vous voyez partout +Life Simplifed+ ou +Yombal sa life+ » (traduction en langue wolof du slogan de la marque), ajoute-t-il
Pour l’instant, la tendance dans la stratégie de pérennisation du produit est « très bonne », selon ses propres mots.
Une campagne publicitaire est même prévue sur plusieurs radios de la place. En revanche, la rentabilisation de l’entreprise n’est pas prévue dans « deux ou trois ans ». Les investissements s’élèvent à « plus de 20 millions F CFA (véhicules, scooters, logistique, …) sur fonds propres ».
Covid-19, la bonne affaire
La start-up travaille avec des fournisseurs et minore parfois les prix de certains articles. Cette formule est adoptée pour accélérer la relance de restaurants dont l’activité était au point mort durant plus de deux mois à cause des restrictions dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire imposé par les autorités pour faire face à l’épidémie.
Le nouveau virus n’a pas eu d’impact économique négatif sur le business de Samalife, se réjouit Tomoss. Mieux, c’est un moment propice pour la jeune société très sollicitée.
La seule contrainte est liée aux horaires du couvre-feu décrété par le chef de l’État et qui dure de 23h à 5h au Sénégal.
Aujourd’hui, Samalife livre de 9 heures à 21 heures. « On a vu notre facteur de transaction multiplié par 4,5. Cela veut dire 300% de progression de notre chiffre d’affaires », confie Tomoss, soulignant que les délais de livraison sont de quinze minutes à une heure trente au maximum.
Samalife, qui veut grandir « par étape », est circonscrite pour le moment dans la région de Dakar « sur un rayon d’un peu plus de 40 km ». Les cibles de l’entreprise sont localisées dans les « grandes agglomérations ».
Son prochain objectif est de pénétrer les autres villes du Sénégal. Plus tard, ce sera la sous-région, dans un pays comme la Côte d’Ivoire que Tomoss Diène connaît bien. Au pays de la lagune Ebrié, le Sénégalais dirigeait la filiale locale du groupe PCCI. Il y est resté jusqu’en 2009 avant de sauter dans le premier avion « le jour où la guerre a commencé » suite aux tensions post-électorales entre le camp de l’ancien président Laurent Gbagbo et son rival à l’époque, l’actuel chef de l’Etat Alassane Dramane Ouattara.
Formé dans les universités françaises, Tomoss Diène fait partie de la deuxième promotion en France à avoir reçu un DESS (Diplôme d’études supérieures spécialisées) en Commerce électronique. C’était en 2003. Quand il rentre un an plus tard au Sénégal, il noue avec le groupe PCCI une relation devenue « une très longue histoire ».
Depuis 2016, il est le directeur des Expériences clients pour l’Afrique, en charge des onze filiales du groupe. Mais le cumul avec Samalife est « pénible », admet t-il.
Avant la fermeture des frontières constatée partout dans monde à cause de la Covid-19, Tomoss ne restait que deux semaines par mois avec sa famille à Dakar, puisqu’il devait sillonner le continent pour remplir ses premières obligations professionnelles. « Heureusement que mon épouse est là. Elle est capable de piloter toute seule », se réjouit Tomoss « le beau », dont la traduction du prénom en français provoque un grand rire chez son épouse nigérienne qui, après six ans de mariage, donne l’impression de venir tout juste de tomber sous le charme de son homme.
Ce fils d’enseignant, cadet d’une fratrie qui compte plusieurs cadres supérieurs dans divers secteurs, y compris le très haut commandement de l’Armée, est originaire du village de Mont-Rolland, dans la région de Thiès (70 kilomètres de Dakar).
Le jeune entrepreneur au teint noir ébène digne de son ethnie, les Sérères, n’a pourtant pas connu que le succès.
Avant de créer Samalife, Tomoss Diène a tenté une première expérience d’entreprise qui s’est terminée par « un goût d’inachevé ». C’était « il y a trois ans », dit-il.
Lancé avec un ami d’enfance, son projet de l’époque, appelé « Kit Connect », proposait des services de réparation dans des lieux comme Sea Plazza, le centre commercial le plus huppé de Dakar. L’expérience fit long feu en raison de sa mission doubaïote. Mais « on apprend de nos erreurs », relativise t-il aujourd’hui.
Avec Samalife, l’avenir est aujourd’hui prometteur, semble-t-il dire après que l’application a été téléchargée « plus de 5000 » fois. De plus, la start-up est référencée par le ministère sénégalais du Commerce et des Petites et Moyennes Entreprises. Samalife postule également à un appel à candidatures d’un organisme spécialisé de l’Organisation des Nations Unies (Onu).
Samalife a aussi noué « quelques contacts » avec la Délégation à l’entreprenariat rapide (Der), un important organisme gouvernemental au Sénégal, pour connaître les modalités d’un probable accompagnement.