Emmanuel Macron peut garder un souvenir amer du 49-3, dégainé samedi pour la réforme des retraites : sous le quinquennat Hollande, Manuel Valls avait imposé cette arme constitutionnelle à celui alors ministre de l’Economie pour faire passer sa loi croissance.
Au bout de douze jours de débats, l’Assemblée nationale était venue à bout des quelque 300 articles du projet de loi, dont Richard Ferrand, alors de l’aile gauche du PS, était le rapporteur général.
Mardi 17 février 2015 au matin, les 30 à 40 socialistes « frondeurs », emmenés par Christian Paul et Laurent Baumel, annoncent qu’ils vont majoritairement voter contre ce texte allant de l’extension du travail du dimanche à la libéralisation du transport en autocars.
Les quelques voix de centristes ou de très rares UMP (devenus LR) risquent de ne pas suffire pour faire voter en première lecture ce projet de loi emblématique de la ligne réformatrice de l’exécutif. Les abstentions de certains élus de droite, mises en avant par le cabinet d’Emmanuel Macron, ne sont pas « fiables », juge-t-on aussi à Matignon.
« Au moment où je parle le texte ne passe pas », déclare peu après le chef du gouvernement devant les députés PS réunis à huis clos. Un Conseil des ministres est convoqué en urgence à l’Elysée à 14H30, dont rien ne filtre.
Manuel Valls, mine grave, laisse encore planer le doute lors de la séance des questions au gouvernement. « Le gouvernement fera tout pour que cette loi passe parce qu’elle est utile pour le pays », martèle-t-il en réponse au patron des députés UMP Christian Jacob l’accusant de recourir au 49-3 dans « l’urgence et la panique ».
Pendant la pause avant la séance supposée du vote, on compte et recompte. Il y avait même trois comptages à confronter : celui du groupe PS, celui de Matignon, et celui du cabinet d’Emmanuel Macron.
« Là, il y a une hypothèse que ça passe de 5-6 voix, mais dans une configuration hyper idéale, sans accident. Or, 2-3 accidents lors d’un vote c’est très vite arrivé. Donc on dit qu’on ne prend pas le risque », relate un ancien conseiller ministériel à l’AFP. « Et devant nous, Valls appelle le président et demande l’autorisation » d’engager la responsabilité du gouvernement.
– « Acte d’autorité » –
Le locataire de Matignon annonce à la tribune le recours au 49-3, au nez et à la barbe d’Emmanuel Macron, qui espérait faire passer « sa » loi par sa seule force de conviction.
« La réalité c’est que Macron était minoritaire, mais aussi à cause de gens (les frondeurs) qui ont employé des méthodes détestables, des gauchos », lâche un ex-membre du gouvernement Valls.
L’outil constitutionnel permettant un passage en force a amplifié l’image clivante du jeune ministre. Il sera utilisé à nouveau à deux reprises, jusqu’à l’adoption définitive en juillet 2015 de sa loi « pour l’activité, la croissance et l’égalité des chances économiques ».
Manuel Valls s’est ensuite défendu devant des journalistes d’avoir imposé le 49-3 pour tacler Emmanuel Macron, à la popularité grandissante. Ce n’est aucunement « un plaisir d’engager un 49-3 » mais « c’est aussi faire acte d’autorité et permettait d’expliquer à Emmanuel Macron qui disait qu’il était le meilleur ministre du monde, qu’à la fin il n’y a pas de majorité », reconnaît un ancien conseiller. « Ça permettait aussi de dire +mon gars reste à ta place+ ».
L’épisode a laissé « une marque indélébile », juge un député LREM. « L’effet Valls est ultra important » : le dégainer est synonyme de « violence, brutalité ».