Originaire du Togo, l’artiste peintre Harry Mensah, 29 ans, vit et travaille à Bamako depuis 2016. Tatoueur, il s’est intéressé à la peinture dès qu’il a foulé le sol de la capitale malienne où il a finalement trouvé son chemin. Sa nouvelle passion qu’il combine désormais avec le tatouage dans un style unique lui permet de créer des toiles pleines de sens. Artiste autodidacte, les œuvres d’Harry Mensah parlent essentiellement de son vécu, notamment son enfance qui n’a pas été un long fleuve tranquille.
Après deux années passées à Ouagadougou au Burkina Faso en tant que tatoueur, Harry Mensah Dotsevi Dodji passe la frontière sur les conseils d’un ami burkinabé du nom de Patrick Agbowapan, artiste peintre, qui lui prédit qu’il trouvera son chemin d’artiste dans la capitale malienne où le métier des arts est en pleine mutation, avec l’émergence d’une nouvelle génération d’artistes parfois constitués en collectif. C’est ainsi qu’Harry a atterri en 2016 au célèbre atelier Badialan 1 de Bamako (l’un des plus grands ateliers d’arts de la capitale) avec sur son carnet d’adresses le nom d’Ibrahima Konaté, le chef d’atelier et l’une des figures remarquables de la peinture au Mali.
Coiffé de dreadlocks courts, teint clair, le corps tatoué, Harry Mensah, du haut de son 1.70 m donne plutôt l’apparence d’un jeune rappeur du ghetto. Assez timide et peu bavard, il nous accueille dans une villa grise nouvellement construite dans le quartier de Sébenicoro qui abrite la résidence du président malien Ibrahim Boubacar Keita. Un quartier qui longe le fleuve Niger.
Harry partage la petite villa avec un de ses amis peintres qu’il a rencontré à l’atelier Badialan 1. Ils viennent d’y aménager. Le salon n’est pas encore meublé. A l’entrée, une table en bois est juste-là, en face, vers le côté gauche, deux chaises de fabrication artisanale. Sur cette table, sont rangés quelques bouquins, un ordinateur, des paquets de cigarettes, du matériel de tatouage et un matelas posé à même le sol carrelé. Dans un autre coin du salon, des pinceaux, un seau d’eau, des boites de peinture ouvertes et un tableau en gestation sur une bâche en plastique noir. Dehors, on entend des bruits d’enfants du voisinage jouant sous un arbre. Il est environ 11 heures du matin et un soleil de plomb (environ 40°) pèse sur la capitale en cette période de canicule. Ici, Harry a enfin trouvé un endroit idéal où dormir et travailler. Un logement qui lui fait désormais oublier ses nuits difficiles passées à l’atelier Badialan 1.
L’artiste marqué par l’humanisme malien envisage de demander la nationalité malienne. Ce qui ne lui fera pas pourtant oublier son pays d’origine, le Togo, où vivent ses parents et qui vivent dans son cœur.
La toile sur laquelle l’artiste a bossé la veille et dont la peinture est encore fraîche fait partie de sa série “Le regard des autres”. “Je porte moi-même de nombreux tatouages sur mon corps et je me suis accepté, même si j’ai dû subir le regard des autres. Je me suis affranchi de cela et je m’accepte tel que je suis. C’est le plus important pour moi”, nous confie le jeune artiste qui dit avoir appris à tatouer dans la rue avec un gars du quartier. “Un gars peu fréquentable. Il était assez louche au premier regard. Le genre de personnes dont tout le monde se méfie dans le quartier”, ajoute Harry, qui dit pourtant trouver en lui un excellent compagnon, même son père se méfiait de l’homme. Un homme en qui Harry découvre un grand cœur et un état d’esprit qui dévie tous les préjugés dont il fait l’objet. L’apprentissage du métier de tatoueur ne prendra que quatre mois pour Harry qui était déjà un excellent dessinateur à l’école.
Une enfance difficile
Natif de Notsé, une petite ville de Togo située à 96 km de la capitale Lomé, Harry Mensah (29 ans) est issu d’une famille modeste dont le père est cultivateur et la mère vendeuse de légumes. Très jeune, poussé par la précarité, il abandonne l’école en classe de 2e année du lycée pour exercer des petits métiers comme celui de tatoueur et coiffeur. N’arrivant pas à joindre les deux bouts dans sa ville natale, Harry plie bagages et met le cap sur la capitale, Lomé, espérant s’en sortir. Là, en plus de ces deux métiers habituels, il travaille dans un maquis comme gérant. Harry n’arrivait toujours à voir le bout du tunnel. Finalement, il quitte la capitale pour Dapaong, une ville située au nord de Lomé où il passe quelques mois avant de se lancer dans l’aventure qui le conduit à Ouagadougou au Burkina.
Durant son séjour au pays des hommes intègres, Harry, qui est proche des artistes peintres, finit par nourrir une certaine passion pour cet art qui n’est pas assez différent du sien, le tatouage. Après deux ans à Ouaga, il rejoint Bamako (comme le lui a conseillé son ami peintre) où il atterrit à l’atelier Badialan 1. “C’était la première fois que je me trouvais dans un milieu purement artistique et comme je n’avais pas d’endroit où dormir ils m’ont même permis de rester”, ajoute Harry, qui a désormais pour maître le chef d’atelier de Badialan 1, Ibrahima Konaté.
Le tatouage reste le point d’ancrage pour le jeune artiste. Toutefois, ses débuts dans la peinture n’ont pas été chose aisée car, dit-il, il a beaucoup douté de lui, de ses capacités à faire son chemin dans la peinture.
“Le fait d’être tatoueur m’a permis d’affirmer ma personnalité, de revendiquer ma liberté et d’être ce que je suis de même que mon appartenance à un clan un peu rebelle comme par exemple celui des rappeurs”, revendique Harry qui affirme n’avoir jamais suivi les codes qui régissent la société. “Mais je reconnais également que j’étais souvent dans l’instabilité et l’indécision et ce mode de vie ne me rendait pas fier de moi-même”, regrette l’artiste. Ainsi, sur ses œuvres, on aperçoit des tatouages sur des personnages. Une façon pour l’artiste de rester fidèle à ce métier qui l’a conduit à l’art et qu’il continue toujours de pratiquer par occasion.
“Le regard des autres” est le premier projet de Harry en tant que peintre. Dans cette série de créations, l’artiste parle de sa condition sociale (pauvre) et aussi de celle de ceux qu’il qualifie de hors du système, des codes et des normes de la société. “Quand les gens voient mes tatouages, il y a ceux qui les trouvent drôles et s’en amusent et puis il y a ceux qui me jugent et se méfient. C’est les regards des derniers qui m’intéressent parce qu’ils me permettent de connaître les opinions des gens sur ma personne et mes choix dans la vie”, ajoute Harry qui puise ses inspirations dans ses années de galères, dans ses hauts et ses bas, dans ce qu’il porte au plus profond de lui. Harry serait-il le porte-parole de la marge, des incompris ou autres parias de la société ? Son travail nous laisse croire cela. D’autres de ses séries de tableaux comme “l’Alliance”, “Le Dialogue du corps” et “A qui la faute” ou encore “Entre nous” traitent du milieu des nécessiteux.
Il dit être influencé par des grands noms des arts, comme Solly Cissé qui est un artiste plasticien sénégalais, Bruce Clarke, artiste originaire d’Afrique du Sud, mais qui vit à Paris. Celui-ci a beaucoup travaillé sur le génocide au Rwanda et a participé à l’élaboration d’un mémorial auquel il a associé des populations. Et il admire Abdoulaye Konaté, l’une des figures majeures des arts plastiques du Mali et du continent.
Une rencontre déterminante
Cependant, l’une des rencontres déterminantes et ayant poussé l’artiste à mieux s’accepter et à s’affirmer est sans doute celle avec le français Floréal Duran, directeur artistique et agent d’artistes, en 2019, lors d’un de ses passages à l’atelier Badialan. “Son style semi figuratif cerne des personnages diffus, écrasés par un environnement hostile. Ce n’est pas un hasard si sa première série de toiles s’appelle “Le regard des autres”. Je pense que c’est le regard que son entourage ou de ceux qui l’ont croisé ont posé sur lui. Il y a dans son univers le poids des préjugés, celui de la stigmatisation. C’est le peintre des états d’âme, du subconscient. Mais il y a derrière cela un autre Harry qui sommeille et qui ne demande qu’à exprimer sa rage” nous confie M. Floréal Duran qui dit percevoir dans ce “Bad boy” (comme il le surnomme), un vécu qu’il cherche à exprimer, un trop plein d’histoires à faire découvrir. Pour lui, Harry Mensah a l’étoffe d’un artiste qui va “secouer” l’art africain.
Un an seulement après son arrivée et ses débuts dans la peinture, l’artiste a très vite imposé sa marque de fabrique à travers ses œuvres d’art. Cette montée fulgurante est due à la sincérité qu’il met dans son travail. “Harry est un jeune peintre dont l’univers est rempli de curiosité, il est courageux, attentif et observateur. Son travail est plein d’espoir. Il se résume en deux temps : l’écoulement de la peinture et l’apparition des formes pour retracer son univers quotidien. La force d’Harry dans sa peinture est le mouvement”, confie Ibrahima Konaté.
Les œuvres d’Harry ont été exposées au cours de quelques grands rendez-vous des arts sur le plan national et international, notamment le festival Carrefour des arts plastiques à Ouagadougou (Burkina Faso) en 2019, la Biennale de la photographie de Bamako (2017 et 2019), Ségou’Art en (2018 2019) toujours en collectif avec l’Atelier Badialan1.
Harry ambitionne désormais de se faire un nom à l’international, notamment à travers son tout nouveau projet intitulé “African Psycho” dont il se garde d’entrer dans les détails, mais qui sera plein de surprises, à l’en croire.