Au cœur du Togo, pays où les échos de la tradition résonnent encore dans les arcanes de la modernité, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) demeure une énigme brûlante, un nœud gordien que ni la loi ni la société ne parviennent pleinement à dénouer. Sous la férule de l’article 829 du Code pénal togolais, toute tentative de mettre fin à une grossesse – qu’elle repose sur l’usage de substances, d’instruments ou de divers artifices – est frappée d’une interdiction catégorique. Cette disposition, mise en lumière par la chronique hebdomadaire « Le saviez-vous ? » de la Police Nationale Togolaise, traduit une ambition claire : sanctuariser la vie naissante tout en refrénant les pratiques clandestines qui, trop souvent, se muent en tragédies silencieuses. Pourtant, dans cette muraille légale, trois brèches ont été ménagées, révélant les tensions profondes qui agitent le pays face à cette question.
IVG : les failles d’une forteresse légale
La législation togolaise, dans un rare élan de pragmatisme, autorise l’IVG sous trois auspices distincts. D’abord, lorsque la grossesse, tel un couperet suspendu, menace la vie ou la santé de la femme qui la porte, le recours à l’interruption devient licite. Ensuite, si cette grossesse naît des cendres d’un viol ou d’un inceste – violences qui lacèrent l’âme autant que le corps –, la loi offre une échappatoire à la victime. Enfin, lorsqu’un praticien discerne, avec une quasi-certitude, qu’un mal implacable frappera l’enfant à naître, rendant son existence vouée à la souffrance, l’avortement est toléré. Ces dérogations, aussi circonscrites soient-elles, esquissent une tentative de concilier l’inconciliable : la défense de la vie et la reconnaissance de situations où la poursuite d’une grossesse confine à l’inhumain.
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Une répression aux allures de glaive
L’article 830 du Code pénal ne ménage aucun répit à ceux qui bravent cet interdit. Qu’il s’agisse de la femme elle-même, du géniteur ou d’un tiers ayant prêté main-forte ou fourni les moyens prohibés, tous s’exposent à un châtiment rigoureux : une réclusion de six mois à deux ans, assortie d’une amende oscillant entre 500 000 et 2 000 000 de francs CFA. Ces peines, d’une sévérité qui ne souffre aucune ambiguïté, visent à ériger un rempart contre un fléau qui, lorsqu’il échappe aux regards, se teinte de sang et de désespoir. Mais ce glaive répressif, s’il intimide, parvient-il réellement à éradiquer les racines d’un mal que la clandestinité ne fait qu’amplifier ?
Le péril clandestin : quand la loi pousse au précipice
Car la réalité, âpre et indocile, défie les édits de Lomé. Malgré la menace des geôles et des amendes, des femmes, acculées par le désespoir ou la nécessité, se risquent à des pratiques hors des sentiers balisés de la médecine. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sonne l’alarme : les avortements clandestins, menés dans l’ombre par des mains inexpertes ou à coups de remèdes hasardeux, figurent parmi les fléaux qui fauchent les vies maternelles à travers le continent africain. Au Togo, ce tableau n’est que trop familier. Ces femmes, souvent abandonnées à leur sort, paient un tribut exorbitant à une législation qui, en voulant protéger, finit par exposer.
IVG : un choc des âmes et des idéaux
Le débat qui en découle transcende les seules lignes du Code pénal. Pour les tenants des droits reproductifs, ce carcan juridique, aussi bien intentionné soit-il, se révèle une entrave mortifère, un corset qui étouffe les aspirations à l’autonomie des femmes. Ils plaident pour une refonte audacieuse, où la santé primerait sur la sanction, où l’encadrement médical dissiperait les ombres de la clandestinité. À l’opposé, les défenseurs de la vie naissante avancent un credo inébranlable : « Un enfant reste un enfant, peu importe les circonstances de sa conception », une maxime qui résonne comme un appel à préserver l’innocence à tout prix, sauf lorsque la maladie ou la détresse maternelle transforment cette vie en calvaire annoncé.
Quel horizon pour le Togo ?
Ainsi se dresse le Togo, à la croisée des vents contraires, sommé de trancher un dilemme qui n’offre nulle réponse aisée. Comment honorer la dignité de la vie sans sacrifier celle des femmes qui la portent ? Comment ériger une société dans laquelle la loi ne soit pas un couperet, mais un bouclier ? Les appels à une réforme plus clémente se heurtent à la crainte d’un relâchement moral, tandis que le statu quo perpétue un cycle de souffrance que nul ne peut ignorer. Peut-être la clé réside-t-elle ailleurs : dans une éducation qui éclaire, une prévention qui désamorce, un soutien qui console. Mais pour l’heure, le pays vacille, suspendu entre ses racines et ses aspirations, laissant à chacun cette interrogation lancinante : jusqu’où la loi peut-elle dicter la conscience sans trahir l’humanité qu’elle prétend servir ?