Au moins 22 soldats turcs ont été tués jeudi dans la province d’Idleb, une escalade brutale qui risque de mettre le feu aux poudres dans le Nord-Ouest de la Syrie en proie à une grave crise humanitaire.
Plusieurs militaires ont par ailleurs été grièvement blessés dans des frappes aériennes attribuées au régime syrien et rapatriés pour être hospitalisés, a déclaré le gouverneur de la province turque de Hatay, frontalière de la Syrie.
Le chef de l’Etat Recep Tayyip Erdogan a convoqué dans la soirée un conseil de sécurité extraordinaire à Ankara, en présence notamment du ministre de la Défense, du chef de l’armée et du patron des services secrets, selon la présidence.
Les lourdes pertes essuyées par Ankara jeudi interviennent après des semaines d’escalade à Idleb entre les forces turques et celles du régime de Bachar al-Assad, qui se sont affrontées à plusieurs reprises.
Les pertes essuyées par la Turquie jeudi, qui portent à au moins 42 le nombre de militaires turcs tués à Idleb en février, risquent en outre de creuser un fossé entre Ankara et Moscou, principal parrain du régime syrien.
Le bilan de soldats turcs tués jeudi pourrait encore s’alourdir, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), une ONG, ayant fait état de plus de 30 morts dans des bombardements aériens et d’artillerie du régime.
Les frappes contre les forces turques risquent de déclencher une ferme riposte d’Ankara, alors que M. Erdogan menace depuis plusieurs jours de déloger par la force les forces du régime de certaines positions à Idleb.
Un nouveau round de pourparlers entre Russes et Turcs visant à trouver une issue à la crise d’Idleb s’est achevé jeudi à Ankara, sans annonce de résultat concluant.
Selon l’agence de presse étatique Anadolu, le chef de la diplomatie turque s’est entretenu jeudi soir avec le chef de l’Otan, Jens Stoltenberg.
– Ville stratégique –
Avec le soutien de l’aviation de Moscou, Damas a déclenché en décembre une offensive pour reprendre le dernier bastion rebelle et jihadiste d’Idleb.
Le régime et son allié russe ont mis les bouchées doubles ces dernières semaines et repris plusieurs localités dans cette province frontalière de la Turquie.
Cependant, les groupes rebelles, dont certains sont appuyés par Ankara, ont contre-attaqué et repris jeudi la ville stratégique de Saraqeb, selon l’OSDH.
Selon un correspondant de l’AFP, les rebelles sont entrés le matin dans cette localité de l’est de la province d’Idleb. Les insurgés se sont déployés en grand nombre dans les rues de la ville en ruines et totalement vidée de ses habitants.
Saraqeb, qui avait été reconquise le 8 février par le régime, se trouve à la jonction de deux autoroutes que le pouvoir veut sécuriser pour consolider son emprise dans le nord du pays.
En reprenant la ville, jihadistes et rebelles coupent l’autoroute M5 reliant la capitale Damas à la métropole d’Alep (nord).
Jeudi, les membres occidentaux du Conseil de sécurité de l’ONU ont réclamé un « cessez-le-feu humanitaire », resté lettre morte face au refus de la Russie.
Sept civils, dont trois enfants, ont péri jeudi dans des bombardements syriens et russes sur la province d’Idleb, d’après l’OSDH.
Depuis décembre, plus de 400 civils ont été tués dans l’assaut selon l’OSDH et plus de 948.000 personnes, dont plus d’un demi-million d’enfants, ont été déplacées d’après l’ONU.
– Désaccord –
A l’ONU, le désaccord reste total entre les pays occidentaux et la Russie.
« Le déplacement de près d’un million de personnes en seulement trois mois, le meurtre de centaines de civils, la souffrance quotidienne de centaines de milliers d’enfants doivent cesser », ont souligné dans une déclaration conjointe le vice-Premier ministre belge, Alexander De Croo, et le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas.
L’ambassadeur russe à l’ONU, Vassily Nebenzia, a jugé pour sa part que « la seule solution à long terme, c’est de chasser les terroristes du pays ».
Le Comité international de Secours a estimé jeudi que « les parties en conflit doivent ressentir la pression pour mettre fin à cet assaut contre les civils ».
« Nous avons un besoin désespéré d’une cessation des hostilités » et de « pauses humanitaires régulières », a martelé la directrice de l’Unicef, Henrietta Fore.
Les jihadistes de Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex-branche syrienne d’Al-Qaïda) dominent encore la moitié de la province d’Idleb et des secteurs attenants dans celles d’Alep, de Hama et de Lattaquié.
A la faveur de son offensive, le régime a reconquis « tout le sud de la province d’Idleb », a indiqué à l’AFP le directeur de l’OSDH, Rami Abdel Rahmane, ajoutant que « cette progression rapproche le régime de Jisr al-Choughour ».
Pour des experts, la bataille de Jisr al-Choughour risque de s’avérer ardue pour le régime.
La ville est dominée par les jihadistes du Parti islamique du Turkestan (TIP), dont les membres appartiennent majoritairement à la minorité musulmane ouïghoure de Chine.
Déclenchée en mars 2011 par la répression de manifestations pacifiques, la guerre a fait plus de 380.000 morts.