Lomé, le 4 février 2024 –La capitale togolaise s’est érigée hier en sanctuaire de la réflexion historique, accueillant un colloque international dédié à la figure tutélaire du Général Gnassingbé Eyadéma. Vingt ans après sa disparition, cet hommage, tissé de discours académiques et de témoignages panafricains, a transcendé les frontières, réunissant penseurs et acteurs politiques d’une dizaine de nations africaines et européennes. En effet, sous les lambris d’un lieu symbolique, les participants ont déployé une tapisserie de réflexions autour de l’homme qui incarna, pendant près de quatre décennies, l’âme et les contradictions d’un Togo en quête d’équilibre.
Une commémoration à la croisée des mémoires
Victoire Dogbé, Premier Ministre et cheffe du gouvernement, a ouvert le bal des allocutions d’un ton solennel, saluant un événement nécessaire pour ressusciter l’esprit d’un bâtisseur. Elle a exalté les vertus cardinales d’Eyadéma : l’unité dans le pluralisme, la paix comme socle, et un patriotisme viscéral. « Ce colloque n’est pas un simple exercice de nostalgie, mais une boussole pour les générations futures », a-t-elle affirmé, insufflant une dimension prophétique à la commémoration.
L’homme derrière le mythe : un portrait en clair-obscur
Par ailleurs, Kanka-Malik Natchaba, ministre de l’Enseignement supérieur, a ciselé un portrait nuancé de l’ancien dirigeant. Décrit comme un Janus aux multiples facettes, Eyadéma fut tour à tour stratège militaire, architecte de la concorde nationale et pilier d’une Afrique en turbulence. « Son courage, teinté d’une rigueur spartiate, a forgé un Togo debout, mais son héritage reste un chantier ouvert », a-t-il souligné, évoquant les cicatrices et les lauriers d’un règne marqué par des ombres et des lumières.
L’œuvre d’Eyadéma : une fresque aux couleurs contradictoires
En plus, les débats ont illuminé le rôle d’Eyadéma comme médiateur-inquiet dans les crises ouest-africaines. Des intervenants ont rappelé son implication dans la résolution de conflits au Liberia et en Sierra Leone, où il joua les funambules de la diplomatie, mêlant realpolitik et idéal panafricain. « Il croyait en une Afrique forteresse, mais ouverte », a résumé un chercheur béninois, évoquant sa vision d’une intégration « ancrée dans le concret, pas dans les slogans ».
L’économie et le social : entre ambitions et écueils
Cependant, si les allocutions ont célébré des projets structurants (routes, barrages, écoles), certains panels ont osé aborder les angles morts : une industrialisation timide, une jeunesse en quête d’emplois. Un économiste togolais a parlé d’un « développement en dentelle, beau de loin, fragile de près », appelant à « réinventer, sans renier ».
L’intégration continentale : un rêve en patchwork
L’héritage sous-régional d’Eyadéma a été disséqué comme un « puzzle inachevé ». Son soutien à la CEDEAO, perçu comme un « laboratoire de souverainetés partagées », contraste avec des relations tendues avec certains voisins. « Il naviguait entre fraternité et méfiance, reflet d’une Afrique en gestation », a analysé une historienne française, soulignant son rôle dans l’UA naissante comme « un chantre discret, mais tenace ».
Au-delà des discours : les séquelles d’une époque
En marge des cérémonies, des voix anonymes rappellent que la commémoration n’efface pas les controverses. « Un colloque ne guérit pas les plaies, mais peut semer des graines de dialogue », confie un militant des droits humains, souhaitant que « les livres d’histoire ne soient ni des autels ni des tribunaux ».
D’autres hommages sont prévus : expositions, pèlerinages sur les lieux emblématiques et historiques et aussi un projet de fondation dédié à l’étude critique des leaderships africains. Pour les organisateurs, il s’agit de transformer la mémoire en dynamite créatrice, loin des commémorations momifiées.
Eyadema, miroir d’une Afrique en métamorphose
Finalement, comme l’a murmuré un participant, « commémorer Eyadéma, c’est interroger l’ADN politique de l’Afrique postcoloniale ». Entre panégyriques et silences éloquents, ce colloque aura révélé combien l’homme demeure un symbole biface : à la fois repère et repoussoir, incarnation d’un passé qui refuse de passer. Vingt ans après, son spectre plane encore, invitant le Togo et le continent à danser avec leurs fantômes pour mieux inventer demain.